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Plus qu'un jubilé

TRAITÉ DE L'ÉLYSÉE Un anniversaire qui réunit députés allemands et français à Berlin

04.02.2013
2023-08-30T12:23:52.7200Z
7 Min

Outre le président français Charles de Gaulle et le chancelier fédéral allemand Konrad Adenauer, il est " deux héros européens " qui ont grandement contribué à une meilleure compréhension du pays voisin et à l'amitié entre la France et l'Allemagne. Or, ils n'ont jusqu'ici guère été évoqués dans le cadre des célébrations officielles. Lors du déjeuner officiel donné dans le bâtiment Paul-Löbe à l'occasion du cinquantenaire du traité de l'Élysée, Norbert Lammert, hôte du jour en sa qualité de président du Bundestag, livre une évocation particulière de ces deux " Européens ", en citant les propos tenus par Astérix et Obélix, les deux Gaulois, au moment de traverser le Rhin, dans l'album " Astérix chez les Goths " paru en 1963 : " Chez les Goths, le temps est infect, le climat insupportable et la nourriture immangeable. "

Sous les rires des députés français et allemands, le président du Bundestag fait alors, rassuré, le constat qui suit: " Le monde a profondément changé. " La visite d'un jour d'une délégation de plus de 350 députés français le démontre à maints égards.

Moment d'Histoire

La neige et les températures glaciales qui accablent nos contrées en ce 22 janvier posent de fameux défis aux organisateurs, qui, à Paris comme à Berlin, préparent cette rencontre depuis des mois. Pourtant, lorsqu'à 11 h 14, la majorité des membres de l'Assemblée nationale atterrissent à Berlin à bord d'un Airbus 340, l'un des symboles de la coopération franco-allemande, l'ambiance est au beau fixe et à la joie de prendre part au grand événement. " C'est vraiment un moment chargé d'Histoire. Je suis ravi de pouvoir vivre cette journée ", déclare William Dumas, député du Gard, à son arrivée à le portail Ouest du bâtiment du Reichstag, avant de se diriger vers l'étage où se réunissent les groupes parlementaires. L'heure est aux présentations, ou aux retrouvailles, avec les collègues allemands. Nombre de députés se connaissent grâce au travail conjoint accompli, par exemple, au sein des commissions des affaires européennes et de la défense ou des consultations semestrielles entre les gouvernements allemand et français - volet important du traité de l'Élysée, mais aussi de la déclaration commune signée par les deux pays en 2003, lorsque les deux Parlements s'étaient réunis à Versailles pour célébrer le 40e anniversaire de la signature du traité.

Dix ans plus tard, certains d'entre eux, ayant répondu à l'invitation allemande, se retrouvent réunis autour de tables rondes élégamment dressées dans le foyer du bâtiment Paul-Löbe. L'imposante construction, véritable cathédrale faite de béton, de verre et de métal, forme un ensemble qui ne saurait contraster davantage avec le château de Versailles, mais n'en est pas moins tout aussi chargé sur le plan symbolique. En ce jour, les tables parées de nappes de couleur crème, la moquette rouge et la lumière chaude confèrent pourtant au lieu une atmosphère festive, presque chaleureuse. Depuis le foyer du bâtiment Paul-Löbe, on peut apercevoir d'un côté la Chancellerie fédérale, construite après la réunification, et de l'autre la Spree. Sur la rive d'en face se dressait autrefois le Mur, avec ses barbelés et ses postes de tir automatique.

Durant le déjeuner, Claude Bartolone, président de l'Assemblée nationale, déclare que ce lieu est la démonstration que les hommes et les femmes peuvent changer l'Histoire. Le vent de l'Histoire souffle aussi lorsque, sortis de table, les députés allemands et français prennent place dans l'hémicycle, spécialement aménagé pour la séance solennelle. Les sièges bleus, habituellement répartis par groupe parlementaire, ont cédé la place à des chaises noires et légères, disposées en rangées. En cet après-midi, ce sont les deux présidents du Bundestag et de l'Assemblée nationale, le secrétaire général du Bundestag, Horst Risse, et son homologue française, Corinne Luquiens, qui ont pris place à la tribune.

Dans la salle, les députés, réunis en petits groupes franco-allemands, distribuent maintes accolades et nombre d'entre eux prennent rapidement une photo-souvenir à l'aide de leur téléphone portable avant que ne retentisse le gong, sous le coup de 14 h 16. Tous se lèvent et applaudissent spontanément. Les présidents Lammert et Bartolone, le président fédéral Joachim Gauck, le président français François Hollande et la chancelière fédérale Angela Merkel sont alors conduits, en compagnie de représentants des pouvoirs publics constitutionnels, vers une rangée de sièges leur étant réservée. Vient ensuite un bref moment de silence, comme si tous sentaient que cette séance n'est pas une séance comme les autres. Saluant l'assistance, le président du Bundestag déclare : " Celui qui a conscience de ce que représentent 50 ans dans l'Histoire européenne récente ne peut penser qu'il ne s'agit aujourd'hui que d'un jubilé, d'un événement comme il y en a tant. " Rappelant que toute relation stable et durable traverse " des phases de passion et de raison ,il constate que les deux pays se trouvent actuellement dans une " phase de raison passionnée plutôt que d'inclination romantique " et que " cela ne doit pas être considéré comme un handicap " . La normalisation des relations est à ses yeux une évolution dont " on s'accommode parfaitement, mieux que jamais auparavant dans l'Histoire de l'Allemagne. " Le président français, François Hollande, rappelle lui aussi que " les destins de la France et de l'Allemagne " sont étroitement liés. Dépassant l'éloge du passé, il appelle à ouvrir de " nouvelles perspectives " pour l'avenir. En la matière, la jeunesse et l'Office franco-allemand pour la jeunesse (OFAJ) ont joué un rôle tout particulier dans les relations entre les deux pays. Or, avertit encore M. Hollande, la jeunesse est frappée par la crise. Il annonce dès lors la poursuite de l'harmonisation des systèmes de formation professionnelle.

Responsabilité commune

Prenant la parole, la chancelière fédérale, Mme Merkel, juge que la pérennité de cette amitié passe par la curiosité à l'égard du voisin. " Cette curiosité, ajoute-t-elle, il faut la préserver […] et la transmettre de génération en génération. En effet, si quelqu'un n'est pas curieux, ce n'est pas par un traité qu'on pourra lui ordonner de s'intéresser aux autres. " Poursuivant son allocution, elle déclare " que l'Allemagne et la France éprouveront encore à l'avenir une même responsabilité commune - vis-à-vis de nos deux pays mais aussi et toujours dans le contexte européen. Claude Bartolone, président de l'Assemblée nationale française, se dit lui aussi convaincu que les deux pays ne pourrons progresser qu'ensemble. Pour ce faire, il convient avant toute chose de faire avancer l'intégration européenne : " l'âme de notre amitié, c'est l'Europe ! " Mais, face au débat suscité par la crise de l'euro, il appelle aussi à davantage de croissance: " sans le retour à la croissance, rien n'est possible en Europe. Le débat qui voit ensuite les présidents de groupes des deux parlements prendre la parole met en lumière les nombreuses réalisations nées des relations entre les deux pays, mais aussi tout le chemin qui reste à parcourir. Au terme de celui-ci, les parlementaires adoptent la déclaration commune, qui arrête les perspectives de collaboration future entre les deux pays. Si le débat en question rappelait presque la politique dans ce qu'elle a de quotidien, la dernière partie de la séance offre un moment rare dans la vie parlementaire: un moment d'accalmie - mais aussi d'émotion. Une émotion qui se lit sur le visage de certains députés, alors qu'accompagnés du son des cuivres, ils entonnent la Marseillaise, puis l'hymne national allemand.

Puissance de la musique

Les deputés ressentiront une fois encore la puissance unificatrice de la musique lors du concert de clôture, donné en la Philharmonie de Berlin à l'invitation du président fédéral Gauck. L'orchestre interprète l'ouverture d'Egmont, inspirée à Beethoven par l'œuvre de Goethe, et la symphonie n° 3 avec orgue de Camille Saint-Saëns' - deux œuvres qui expriment à la fois l'affliction et la joie, la colère et la douceur, et qui permettent à chaque auditeur d'entendre sa propre histoire de la relation franco-allemande. Dans son allocution, le président fédéral s'adresse avant tout aux 150 jeunes Allemands et Français présents des petits-enfants et arrière-petits-enfants des fondateurs de l'amitié franco-allemande - et se réjouit qu'ils ne puissent plus s'imaginer se faire la guerre. " La politique ne peut et ne doit pas effacer l'histoire, lance M. Gauck, mais elle peut assouplir les contradictions, elle peut déceler et renforcer les liens, forger des points communs. La politique peut ouvrir la voie aux rencontres, à la guérison, et à la réconciliation. " Se tournant alors vers les membres de l'Assemblée nationale, il les assure qu'il est une certitude qu'ils peuvent emporter avec eux à Paris: " qui, les Allemands veulent l'Europe! Et une chose est sûre : nous la voulons toujours et uniquement sur le fondement de l'amitié profonde et solide entre la France et l'Allemagne. "

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